Isabelle Souchet a imaginé « Comment chat va ? ». Édité et diffusé par Souriez Vous Jouez, ce jeu de cartes est destiné aux enfants entre 6 et 10 ans environ et aux professionnels de l’enfance. Objectif : enclencher et nourrir le dialogue entre l’adulte et l’enfant. Un jeu où les mots révèlent leur pouvoir de guérison…
Propos recueillis par Anne Josse
Qui es-tu Isabelle ?
Isabelle : Je suis rigoureuse, curieuse, attentive, créative. Ma formation initiale, c’est le dessin textile. Après l’école Duperré, j’ai travaillé dix ans dans le secteur de la mode et de la déco. Quand les ordinateurs sont arrivés sur le marché, je me suis formée aux logiciels de PAO. J’ai alors rencontré des graphistes et j’ai commencé à me spécialiser dans la mise en page et la retouche d’images. Dans le motif comme dans le graphisme mon métier est de donner de la vie à un tissu ou à un texte.
Comment en es-tu arrivée à concevoir un jeu de cartes ?
Isabelle : Le jeu « Comment chat va ? » vient d’un profond intérêt pour l’enfance et la psychologie. J’avais envie de créer un outil psychologique accessible à la fois aux enfants et aux professionnels.
D’où te vient cet intérêt pour la psychologie ?
Isabelle : D’abord, j’ai toujours été attirée par le métier de psychologue. Si je n’avais pas été graphiste, j’aurais aimé être art-thérapeute ou psychologue pour enfants. J’ai énormément lu de livres sur ce sujet. L’impulsion, s’est faite avec ma fille Lilas, qui a rencontré des difficultés d’apprentissage de la lecture. Les enseignants ne comprenaient pas et me disaient que rien ne fonctionnait. Je me suis rendue compte d’un manque : celui d’un outil facilement appropriable par les enfants eux-mêmes. Il manquait un jeu à portée de leurs mains pour exprimer clairement leur état du moment.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour le créer ?
Isabelle : L’association s’est faite grâce à Ivan, mon compagnon, qui travaille comme tu le sais avec Souriez Vous Jouez. Il a commencé à rapporter des jeux à la maison, à en parler. Cela m’a conforté dans mon sentiment qu’il n’y avait pas de jeux destinés à la fois aux enfants et aux professionnels. J’ai conçu ce jeu comme une union de l’adulte avec l’enfant. Avec ce jeu, on travaille ensemble. C’est un dialogue rendu possible par l’échange de cartes.
Ce jeu n’est pas à proprement parler un jeu pour enfants...
Isabelle : Pas du tout en effet. C’est un jeu pour les professionnels de l’accompagnement des enfants. Mais là où ce jeu est à mes yeux unique, c’est qu’il donne un pouvoir immense à l’enfant. C’est lui qui décide de quoi il veut parler. Quel problème, il souhaite aborder.
Les cartes ne sont pas formulées sous forme de questions. Pourquoi ce choix ?
Isabelle : En effet, cela aurait été à l’opposé de ce que je souhaitais. La question est souvent celle que l’adulte pose à l’enfant : comment vas-tu ? Pourquoi… ? etc. Ce qui n’aboutit pas forcément à un échange. En posant des affirmations comme « Je n’aime pas l’école », « Je n’aime pas quand on me touche », « Je ne suis pas populaire dans ma classe », « J’ai pas envie de déménager »…l’enfant aborde avec des mots simples, son état physique, émotionnel ou mental du moment. La carte qu’il choisit va ensuite guider le travail de l’adulte. J’avais envie d’inverser le processus. L’affirmation ancre le problème dans le présent et aide l’enfant à s’affirmer.
Toi qui es graphiste, comment as-tu conçu visuellement ce jeu ?
Isabelle : D’abord en le confiant à Ivan (rire). Ensuite, je ne voulais pas de photos ou d’illustrations pour mettre en image les problèmes. Cela pour trois raisons essentielles : la première, c’est que certains problèmes sont très difficiles à illustrer. La deuxième c’est qu’une illustration est déjà une forme d’interprétation. La troisième c’est que je crois au pouvoir de précision des mots. Mettre en mots me semble essentiel. C’est une habitude que l’enfant doit prendre dès son plus jeune âge pour la mettre en pratique tout au long de sa vie. Oser mettre ses maux en mots.
Parle-nous du choix du chat...
Isabelle : Le chat imaginé par Ivan est ni féminin, ni masculin. Il dit tout ce qui le traverse. A travers lui, c’est l’enfant qui s’exprime.
Comment as-tu trouvé les « bons » mots ?
Isabelle : En écoutant ma fille. En faisant aussi parler mon enfant intérieur. En observant, beaucoup. Prenons l’exemple d’une affirmation qui a l’air simple : « Je me sens tout le temps fatigué.e »
- Je me sens : c’est mon ressenti personnel
- Tout le temps : je dis que c’est quelque chose de continuel
- Fatigué.e : je formalise simplement mon état. Il est plus facile de parler de sa fatigue que d’une angoisse ; Partir d’un état pour trouver les causes, ensemble…
La porte d’entrée de ce jeu, ce sont les mots.
Peux-tu nous parler des raisons que tu proposes au recto de chaque carte ?
Isabelle : Il y a au recto de chaque affirmation des pistes de réponses proposées dont l’adulte peut se servir pour enclencher le dialogue. Que les réponses ne correspondent pas à celles de l’enfant n’est pas un problème ! L’important est d’enclencher d’autres mots pour désamorcer les tensions. Le seul fait de voir écrite sa pensée profonde : « je n’aime pas la nouvelle compagne de papa » me donne l’autorisation de ma pensée.
Prenons le cas de l’enfant qui n’aime pas aller à l’école. C’est un sentiment partagé par beaucoup d’enfants. Face à cette affirmation, l’adulte peut être tenté d’expliquer en quoi c’est important l’école, que c’est super pour se faire des copains, que c’est indispensable pour choisir son futur métier etc. Ce n’est pas le chemin du dialogue. Derrière la carte « Je n’aime pas aller à l’école » il y a plusieurs raisons proposées : « ma maitresse ne m’aime pas » . On n’y pense pas, même si c’est une vraie raison de ne pas aimer l’école ! Qui accepterait d’aller bosser dans un lieu où il ne ressent ni respect, ni considération, ni regard, ni bienveillance…ni amour ? Cette affirmation est une manière simple de dire que j’ai besoin de me sentir aimé.
Il y a aussi une carte : « je ne trouve pas mon problème »
Isabelle : Parce qu’il faut aussi mettre des mots sur des pensées que l’on ne peut clairement exprimer en mots.
Tu voulais profiter de cette interview pour passer un message aux adultes
Isabelle : Ce jeu de carte est une invitation à l’introspection de l’enfant. Certains adultes pensent que cela n’est pas possible, voire pas souhaitable. Je pense au contraire que c’est salutaire. Je crois, comme Dolto, que l’enfant est un adulte. J’entends par là que l’enfant est tout à fait capable d’effectuer un travail d’introspection avec l’adulte. L’adulte est là pour rassurer et aider l’enfant à ne pas se tromper en prenant une mauvaise direction. Ce jeu aide l’enfant à chercher…et à trouver. C’est une manière de montrer qu’on le respecte et un chemin vers l’apaisement.
D’où l’importance du psychologue dans cette introspection guidée. Je crois que tu as un message pour eux…
Isabelle : Oui, je voulais leur dire que ce jeu peut être un outil pour eux. Il peut par exemple les aider à identifier un problème. Les psychologues savent bien que, souvent, les parents font appel à eux en pensant à un problème en particulier...qui n’est pas le réel problème ! Ce jeu permet de proposer des thématiques à l’enfant. « Cherche le chat qui a le même problème que toi ! » pourrait être un début. Deuxième possibilité d’utilisation : enclencher ou réenclencher le dialogue à l’aide des cartes. On peut donc se servir du jeu au début ou en cours de séance.
Tu penses aussi que ce jeu peut intéresser les enseignants ?
Isabelle : Oui, parce qu’ils peuvent être démunis. Sans jamais se substituer au psychologue, l’enseignant peut, grâce à ce jeu de cartes simple à prendre en main, enclencher une discussion avec l'enfant. J’ai prévu une carte sur le harcèlement par exemple. En aucun cas, le jeu Comment chat vat ? se joue en collectif. Il s’agit, je le rappelle de livrer ses émotions et ses pensées profondes. Impossible par exemple de tirer devant tout le groupe la carte « Je ne me sens pas aimé.e ». C’est un jeu de l’intimité. Ensuite il faut laisser les professionnels prendre le relais. La neutralité est essentielle, ainsi que la distance pour savoir écouter, parler et calmer la douleur.
En t’écoutant, je me dis que cette mécanique pourrait intéresser les adolescents…
Isabelle : Oui, j’y pense sérieusement. Le graphisme et surtout, les problèmes formalisés ne seront pas les mêmes. Mais je laisse d’abord ce jeu vivre et j’attends les retours des professionnels de l’accompagnement.
C’est le moment de parler de ce que nous avons imaginé ensemble pour la sortie de « Comment chat va ? »
Isabelle : Avec Souriez Vous Jouez nous souhaitons dialoguer avec les professionnels de l’enfance pour comprendre l’usage qu’ils font de Comment chat va ? dans leur métier. Nous organiserons une opération "témoignages d'ici quelques semaines". Je te fais confiance, Anne, pour relayer cela sur les réseaux sociaux !
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Adèle Faber et Elaine Mazlish :
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