Je suis un réceptacle

« Si ma vie n’était pas faite de jeu, quel en serait le sens ? ». C’est ainsi qu’Ivan Leprêtre commence son interview. Confidences d’un graphiste éclectique et généreux qui a gardé de l’enfance le goût de l’aventure, l’esprit taquin et une liberté créative sans limite. Partenaire de jeu incontournable de Souriez Vous Jouez, il s’amuse à donner vie aux jeux. Embarquement immédiat dans la capsule ZeNavi (Ivan à l’envers) destination Terra-Créa !

Interview Anne Josse

 

Ivan Leprêtre illustrateur et graphiste pour Souriez Vous Jouez

1. Pour commencer Ivan, peux-tu me dire ce que représente le jeu pour toi ?

Quand j’étais gamin et très taquin, ma mère disait que j’avais le diable au corps. Le jeu permet de canaliser les énergies et de s’exprimer. Le jeu titille et réveille l’esprit et les émotions. C’est aussi une manière d’apprendre. Pour moi, quelqu’un qui n’apprend plus est quelqu’un qui est déjà mort. Le jeu rend vivant ! Je crois que c’est pour cela que je suis graphiste. Créer, c’est jouer avec les images, les typos, les couleurs, les formes.

2. Comment s’est faite ta rencontre avec l’équipe de Souriez Vous Jouez ?

Marie Edery m’a contacté un jour en me demandant le plus naturellement du monde si cela m’intéresserait de travailler sur des jeux. Je ne l’avais jamais fait. J’ai tout de suite dit Oui : faire des jeux était pour moi un nouveau terrain de jeux.

3.Tu nous parles de ton premier jeu ?

Il s'agit de « Couleurs du cœur » pour Marie. Un jeu qui aujourd’hui encore rencontre un joli succès. Tout de suite après, j’ai créé « Valeurs Ajoutées » pour Souriez Vous Jouez. Pour le premier j’ai créé la totalité du graphisme, alors que pour Valeurs Ajoutées, je suis parti de dessins d’enfants pour les mettre en scène avec le magnifique texte de Marie.

jeu de cartes Couleurs du cœur
Couleurs du cœur, jeu de cartes de @Marie Edery

4. Maintenant que tu as créé plusieurs jeux pour Souriez Vous Jouez, peux-tu nous révéler celui dont tu es le plus fier ?

Sans hésiter : FEELIN' CARTES. Créer tous ces personnages était un vrai kif ! Marie m’a montré des modèles d’expression et je suis parti de cette intention pour imaginer soixante personnages tout en rondeur. Le challenge était de taille : comment à partir d’une forme réduite à un simple rond en flat design, donc avec une économie de moyens, exprimer 60 expressions ? Il fallait trouver l’essence de chaque émotion avec un parti-pris ultra minimaliste. Oui, je peux dire que c’est le jeu dont je suis le plus fier. Parmi tous les personnages, j’aime d’ailleurs particulièrement le bonhomme « fier ». Une paire de lunettes noires a suffi pour exprimer la fierté.

5. Parmi tous les personnages, quel est celui qui te ressemble le plus ?

carte créatif extraite du jeu feelin cartes

Pas facile, car en réalité, je suis un peu tous les personnages ! C’est d’ailleurs le sens du jeu. Nous sommes une somme de plusieurs personnalités et, selon les jours, les situations, les moments de la vie, une émotion prend le dessus. Les personnages choisis pour présenter l’équipe de Souriez Vous Jouez, révèlent un aspect marquant de notre personnalité. Tu en fais partie Anne, et je dois dire que le personnage déterminé te correspondant parfaitement ! Celui de créatif me va me va très bien !

6.Tu m’as confié beaucoup aimer le jeu « Archétypes »

C’est un jeu magnifique créé par Arnaud Constancias, Manuel de Sousa et Gilles Dufour. C’est un jeu élégant, intelligent dans sa conception et son contenu. Il casse les codes des jeux de cartes souvent très colorés. Le choix du bicolore s’est imposé. Noir et blanc dans sa première version, il est aujourd’hui réédité dans un superbe bleu profond. Je travaille aussi sur sa version anglaise, dans un vert anglais sombre inspiration « after eight ». Les dessins de Hicuro sont aussi très beaux, très inspirants.

7. Archétypes / Valeurs Ajoutées / Feelin' Cartes : ces jeux sont très différents. Les as-tu abordés différemment ?

Lorsque j’entre dans une nouvelle aventure créative, et c’est valable pour tout type de support, je réponds d’abord à une personne. Ça semble bête, mais c’est super important de comprendre qu’avant de répondre à un cahier des charges, le créatif répond à une personne, avec ses envies, ses goûts, sa sensibilité. Il faut capter cela pour proposer un concept créatif qui va la toucher. Concevoir un jeu imaginé par Anna Edery, Arnaud Constancias, Manuel de Sousa ou Marie Edery, ce n’est pas la même chose. Le rôle d’un graphiste c’est d’abord et surtout être à l’écoute de l’univers du client pour s’en imprégner. Et parfois ce n’est pas écrit dans le brief ! Ça se ressent.  

8. Acceptes-tu que je te dise que je retrouve malgré tout ta patte ?

J’assume complètement. C’est aussi pour cette patte que l’on vient chercher tel ou tel graphiste. Ce qui est essentiel, c’est que cette patte évolue dans le temps. Je ne suis pas la même personne et donc pas le même créatif qu’à mes débuts. Je regarde partout, j’observe tout, en permanence pour entretenir une grande bibliothèque dans ma tête. Ce n’est pas du plagia, mais une source d’inspiration. Dans notre profession, il y a le magazine "étapes" que tous les créatifs consultent pour nourrir leur imaginaire. Je porte un regard curieux sur le monde.

9. Parmi tes sources d’inspirations, il y a la Science Fiction. D’où te vient cet amour de la SF et en quoi te nourrit-elle ?

Mon père aimait la SF. Il était même auteur. Il m’a transmis ce goût. Depuis que je suis ado, je me raconte des histoires de SF. Ce que j’aime dans ce genre, c’est sa liberté d'expression. Si je peux donner un conseil aux personnes à qui ce style littéraire pourrait faire peur, c’est de se laisser embarquer. Surtout, ne pas essayer de comprendre en début de lecture. L’amateur de SF accepte d’emblée de se laisser surprendre et happer dans un ailleurs. Dans ma manière de créer, j’emprunte à la SF l’envie de créer l’inattendu.

J’ai aussi envie de te dire que la SF m’inspire tout autant que le fait d’avoir lu énormément de bandes dessinées, d’avoir dévoré le magazine « Sciences & Vie » pendant trente ans, d’avoir lu Dostoïevski, Mikhaïl Boulgakov, Arto Paasilinna pour n'en citer que peu. En fait je suis un réceptacle. Tout m’intéresse.

10. Ivan, comme ton papa, tu es aussi auteur de SF. « Thècle » est ton dernier ouvrage. On retrouve ton amour des mots et ton goût pour humour

Aujourd’hui, ce qui me fait vibrer, c’est écrire. Je suis d’ailleurs en train de finaliser mon troisième ouvrage…Tu verras, je suis allé encore plus loin dans le délire. Mes livres sont chargés d’humour tout en abordant pourtant des sujets profonds. J’aime surtout en parler comme des récits d’amour. Je voulais écrire de la SF qui soit aux antipodes du sombre, de l’obscure. Thècle est une quête positive et drôle, peuplée de créatures fantasques, qui emprunte au jeu le goût de l’énigme.

11. Restons dans l’univers de la SF et décris-nous ta planète créa à toi...

Sur ma "terra-Kréa" il y a, pour commencer, mon professeur de l’Esam, Monsieur Lenglart. C’est lui qui a signé l’affiche du film « Le Pull-over rouge » de Michel Drach. « Monsieur Leprêtre, vous me démoralisez. » M’a-t-il confié un jour. « Vous avez sans doute du talent mais vous vous perdez. Vous choisissez un projet qui ne vous ressemble pas…Pas sûr que vous ayez votre diplôme. Je vous vois toujours dessiner des petits personnages. Trouvez-moi un truc avec ça ! ». Je l’ai écouté et créé une campagne sur les Smarties que j’ai transformé en bonhommes…et j’ai eu mon diplôme . « Eh bien voilà ça c’est du Leprêtre ! ». Tu l’auras compris, ma planète, est aussi peuplée de petits bonhommes, parfois aux allures de monstres mignons.

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Carte de vœux réalisée pour Elipse Formation

Sur ma planète il y a aussi des mots qui se rencontrent pour créer d’autres mots, des typographies, des iconographies, du design japonais, des bulles de BD, des animaux et des végétaux à foison. Ma planète est une planète vivante où de drôles de bestioles côtoient Pierre Dac, Desproges, Jean Yann, Vialatte, Francis Blanche, Frédéric Dard…

12. Ce sont eux qui t’ont donné le goût pour les jeux de mots ?

Mon amour des mots a commencé par une peur des mots. Elle s’est transformée en fascination. Il a d’abord fallu que je les apprivoise. J’ai commencé par écrire des poèmes, puis des bandes dessinées. L’écriture est restée en stand-by pendant près de 30 ans. Il y a 10 ans, j’ai eu envie d’écrire. C’est pour moi un nouveau medium, complémentaire à l’image. Je prends beaucoup de plaisir à concevoir J’ATTENDS LE NUMÉRO 1 dans lequel j’invite des artistes, auteurs, créatifs à s’exprimer autour d ‘un thème. Je collecte, je mets en page et j’écris aussi.

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Le magazine J'attends le numéro...imaginé par Ivan Leprêtre

Quelle joie de pouvoir me dire qu’aujourd’hui, je joue avec les mots, quand enfant, ces mots ne m’aimaient pas vraiment. J’ai apprivoisé des mots sauvages et je m’amuse aujourd’hui à en inventer. Tu connais « le Baleinié » ? C’est génial et brillant, les auteurs créent des mots-valises. J’invite les lecteurs de cet article à s'y plonger. C’est un vrai bain de jouissance pour moi, bluffant et brillant, tout simplement !

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